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Article publié dans le webzine de Mai 2016

Le monde du petit homme avec un chapeau melon et de trop grandes chaussures


Chaplin's World, Corsier-s-Vevey, Switzerland, (c) 2016-Marc Ducrest  for Chaplin's World Chaplin's World, Corsier-s-Vevey, Switzerland, (c) 2016-Marc Ducrest  for Chaplin's World

Le mois dernier, on a inauguré le tant attendu musée consacré au génie de Charlie Chaplin sur les lieux mêmes où il a passé les 25 dernières années de sa vie, à Vevey, en Suisse. Le projet, une oeuvre de longue haleine supervisée par un Québécois, a bénéficié de la participation enthousiaste des enfants Chaplin.

Coiffé d'un chapeau, barbe et cheveux blancs, yeux bleus pétillants, Michael Chaplin, deuxième des huit enfants de Charlie Chaplin et Oona O’Neil, entre dans le Manoir de Ban, la maison de son enfance où il n'a plus remis les pieds depuis belle lurette, et s'émerveille de la restauration du sol en mosaïque de rez-de-chaussée. Il monte ensuite à l'étage où se trouvaient les chambres des enfants, indique où était la sienne, et admire la vue sur le lac Léman et les Préalpes. "Nous passions des heures à regarder à la fenêtre. C'était un merveilleux endroit pour des enfants. J'ai eu une très belle enfance", ajoute-t-il.

L’idée d’un musée

En 1952, Charlie Chaplin devient persona non grata aux États-Unis pour cause de soi-disant sympathies communistes. Il achète le manoir de Ban pour y élever sa famille, séduit par la maison, et son immense jardin. Oona est alors enceinte de leur cinquième enfant.

Après la mort de leur mère en 1991, Michael et son frère reviennent habiter la maison pendant quelques d'années et constatent l'intérêt du public pour le lieu. "Il y avait très souvent des gens qui s'arrêtaient devant les grilles et on les laissait entrer dans le jardin", se souvient Michael Chaplin. "On ne pouvait leur montrer la maison parce qu'on y vivait, mais l'idée d'un musée a commencé à germer, surtout que l'entretien de la maison devenait  très lourd."

C'est là que le concepteur Yves Durand entre en scène. Ce Québécois, économiste de formation, a touché à la communication et au marketing avant d’aboutir à la muséologie, signant notamment la scénographie de l’Archéoforum de Liège. En 2000, lors d’une mission dans la région avec des projets liés aux technologies et aux médias, il rencontre Philippe Meylan. L’architecte et entrepreneur, qui est allé à l’école du village avec les enfants Chaplin, lui mentionne que la famille cherche à fonder un musée, et lui suggère de les rencontrer. Enthousiaste, Yves Durand réfléchit à un concept et rencontre la famille Chaplin, qui reçoit bien sa proposition. Désormais associé à Philippe Meylan, il continue à peaufiner son projet et documenter son sujet.

Le manoir est acheté en 2008 après une association avec Genii Capital, une firme oeuvrant dans l'immobilier et la technologie. Le projet, appuyé par la communauté, est accepté par les écologistes, mais se heurte à l'opposition d'un voisin, ce qui retardera les travaux de quelques années.

Les obstacles étant franchis, Yves Durand s’assure la collaboration de l’architecte François Confino, associé au très beau Musée national du cinéma de Turin. En 2014, dans la foulée de l’ouverture du Musée Grévin à Montréal, il entrevoit la valeur ajoutée que des personages de cire pourraient apporter au musée. Grévin international emboîte le pas.  Toutes les pieces du puzzle sont en place.

L’œuvre

Le musée comprend trois bâtiments, ce manoir où on a recréé l'ambiance familiale, l'habitation du personnel qui abrite les bureaux, et le garage où logent billetterie, boutique et restaurant, dans le prolongement duquel on a construit un ajout imposant quoique discret de l’extérieur, qui fait revivre les studios hollywoodiens de Chaplin.

“J’ai voulu raconter une histoire”, explique Yves Durand. À travers son oeuvre, on revit le XXe siècle. “Chaplin s’alimentait à la pâte humaine et sociétale de son époque. Nous n’avons pas voulu faire de ce musée un mausolée, mais quelque chose de vivant”, précise-t-il.

La parcours de la partie “studio” où l’oeuvre de Chaplin a été mise en scène, commence dans une salle de cinéma de 150 places où est projeté un montage de 10 minutes des séquences amusantes tirées des meilleurs de ses 81 films, qui s’arrête sur  l’image de Easy Street. L’écran se lève et les visiteurs peuvent s’avancer dans la rue de l’enfance de Chaplin et de ses premiers films. Plus loin, on évoque le music-hall. Un carroussel d’images se répondent, illustrant les meilleurs moments du cinéma muet, puis sept écrans sont consacrés à la pantomime, un art dans lequel cet homme de gestes, excellait.

Les visiteurs descendent ensuite dans l’antre du cinéma de Chaplin, en regardant la scène dans laquelle Charlot essaie de descendre un escalier mobile qui monte.  Clin d’oeil à la culture du “selfie”, les visiteurs  pourront saisir les occasions de photos ici et là, dans les décors des Temps modernes, de La ruée vers l’or,  du Dictateur, ou de l’Émigrant, devant l’équipement cinématographique des années 1910, 1920 et 1930 de la collection de la cinémathèque Suisse, ou avec une trentaine de personages de cire, acteurs, personnalités, ou personages de films. La visite du studio se termine sur la scène finale des Feux de la rampe où le visiteur reçoit une ovation debout.

La vie

Après avoir exploré l’oeuvre du génie du cinéma, on passe à l’homme et à sa vie familiale, soit en flânant dans les jardins qui font partie intégrante du musée, soit en découvrant le manoir qui fut la maison des Chaplin, de 1953 à la mort du héros. 

L’imposante maison bâtie en 1840 règne sur un immense domaine de 14 hectares. L’historique Manoir de Ban a retrouvé son enveloppe d’origine, le concepteur n’ayant pris que quelques libertés à l’intérieur pour de louables motifs muséologiques.

La généalogie des Chaplin qui nous accueille dans le hall du manoir, mentionne la branche tsigane de la famille que ni Charlie, ni ses enfants ne renient. De là, les visiteurs accèdent à une enfilade de pièces, bibliothèque, salon et salle à manger  où les meubles  originaux donnent une idée de l’ambiance de la vie quotidienne. Chaplin a joué sur ce piano à queue, parfois en compagnie de ses amis musiciens. Ce sont ses propres livres qui garnissent les étagères de la pièce dans laquelle il a écrit ses mémoires. Et la table, entourée de 10 chaises, est celle qui a rassemblé toute la famille autour des repas pris tous les jours à heure fixe.

En montant l’escalier, renforcé au carbone pour supporter le poids des foules de visiteurs attendus (jusqu’à 300,000 par année!), on accède à l’étage. Attention, il est hanté. La propriétaire précédente serait morte sur la septième marche que les enfants Chaplin avaient l’habitude de sauter!

Dans la chambre du couple, comme ailleurs dans la maison, les visiteurs peuvent voir beaucoup de photos personnelles. La chambre attenante, où Chaplin l’insomniaque se retirait parfois et où il est mort le soir de Noël 1977, a été meublée de copies des meubles authentiques dont les enfants n’ont pas voulu se séparer. La salle de bain est la reconstitution de celle de Un roi à New York. Le dernier étage, où se trouvaient les chambres des enfants, n’est ouvert qu’à l’occasion d’événements spéciaux.

La visite peut facilement s’étirer sur trois heures.  “Nous voulons que les visiteurs y passent un bon moment et sourient toutes les 20 secondes, mais nous fournissons aussi du matériel plus pointu pour abreuver les fans de Chaplin”, conclut Yves Durand.

 

La filière québécoise

Le Québec est associé de différentes façons à ce musée et à la famille Chaplin. Il n'aurait sans doute jamais vu le jour sans la passion et la ténacité de Yves Durand.

. Un porte-clefs orné du logo du Canadien de Montréal est négligemment posé sur le bureau du directeur du Chaplin's Museum by Grévin. C’est que, Québécois de mère suisse et marié à une Valaisane, Jean-Pierre Pigeon vit en Suisse depuis quelques années quand Grévin international, qui a obtenu les droits d'exploitation du site, lui propose de diriger le musée. Il prendra la relève de son compatriote Yves Durand le 17 avril.

. Qui a fait signer à Chaplin son premier contrat de cinéma le 25 septembre 1913?  Mark Sennett, né à Danville, au Québec, de parents irlandais.

. Qui a acheté la Bentley 1964 qui trônait dans le garage des Chaplin? L’humoriste Yvon Deschamps, un fan fini du génie.

. Qui est le porte-parole du Festival du cirque de Vaudreuil-Dorion depuis quelques années? Son chapiteau porte son nom: Eugene Chaplin, fils de Charlie, toujours engagé dans le monde forain comme régisseur, scénariste et metteur en scène.

 

Le Musée

Situé au 2, Route de Fenil à Corsier-sur-Vevey, le Chaplin’s World by Grévin sera ouvert tous les jours à partir de demain, 17 avril, de 10h à 18h, sauf les 25 décembre et 1er janvier. Billets à 23 CHF pour les adultes et 17 CHF pour les 6 à 15 ans.

www.chaplinsworld.com

Application mobile à télécharger: Chaplin’s World

En vrac

. S'y rendre

Au départ de Montréal : vols vers Genève via Zurich avec SWISS ou vers Genève avec Air Canada. Train vers Vevey et bus 212 devant la gare jusqu'à l'arrêt Chaplin. Ou autoroute A9, sortie Vevey. Stationnement de 230 places.

. Se loger

Pour le concept, le Modern Times Hotel, ouvert en février dernier. L'image de Charlie Chaplin y flotte discrètement avec l'accord de la famille. Facilement accessible à pied de l'arrêt sur demande du train à Château d'Hauteville. Resto sur place, Timesgrill.

20 Chemin du Génévrier, Saint-Légier-la-Chiesaz, Vevey +41 21 925 22 22

www.moderntimeshotel.ch

. Se sustenter

La coupole, une brasserie plus que centenaire, devant la gare de Vevey.

Place de la gare,  021 925 0404

www.astra-hotel.ch

Les 3 sifflets

Non loin de la statue de Chaplin sur le lac Léman. Pour manger une fondue servie en fanfare.

1, rue du Simplon 021 921 1413

Le National

Simple et sympa. Restaurant d'habitués.

9 Rue du torrent

021 923 7625

www.natio.ch

Café de la Place

Chaplin fréquentait la maison. Commander les filets de perche du lac.

Route des Deux Villages, Corsier-sur-Vevey, 4  021 921 1287

www.hotel-de-la-place.ch

. À voir aux alentours

Les lieux Chaplin: le vignoble où il aimait s'approvisionner (Patrick Fonjallaz,  Au clos de la République, affiche des photos de Chaplin dans sa cave) sa statue au bord du lac Léman, le parc auquel on a donné son nom, les belles murales peintes sur des immeubles d'appartements, le cimetière où il repose, avec une halte chez le chocolatier créateur des chaussures de Charlot en chocolat (le chocolatier Poyet, qui porte maintenant l'enseigne de Läderach, a inventé ce chocolat à l'image de Chaplin, sa dureté avec du chocolat amer, sa douceur et son romantisme avec le caramel et son originalité avec du pignon).

Aussi, le vignoble en terrasses de Lavaux classé au Patrimoine de l'Unesco. www.lavaux.ch

À ne pas manquer cette année pour ceux qui seront dans le coin : la 50e édition du Festival de jazz de Montreux, du 1er au 16 juillet. www.montreuxjazzfestival.com

Fin de l'encadré

Louise Gaboury