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Article publié dans le webzine de Septembre 2009

La Venise des Vénitiens


 Cette ville a mille ans et elle semble habitée par des générations de fantômes, certains joyeux et d’autres tristes. Venise garde en ses murs l’empreinte de Tiepolo, Marco Polo, le Tintoret, Carlo Goldoni, Casanova et bien d’autres. Elle a inspiré l’art, la littérature et le cinéma, et été chantée sur tous les tons. Depuis des siècles, il est passé beaucoup d’eau sous les ponts qui enjambent ses romantiques canaux, et Venise elle-même ne cesse de faire couler beaucoup d’encre…

Place Saint-Marc

Chaque année, une vingtaine de millions de visiteurs se ruent sur la place Saint-Marc pour admirer les chefs d’œuvre immortels que sont le Palais des Doges et l’église Saint-Marc. Ils arrivent pour la plupart par l’eau. À bord d’un bateau de croisière, Venise leur apparaît en vision panoramique quand le bateau avance majestueusement devant ce musée à ciel ouvert. S’ils sont venus en train ou en voiture, ils prennent le vaporetto en direction de la place Saint-Marc qui les éblouira avant même qu’ils ne mettent un pied à terre.

Quand l’eau est haute (« acqua alta »), comme cela arrive à l’automne ou en hiver, ils s’amusent des passerelles de bois disposées sur la place pour que les promeneurs puissent marcher au-dessus de l’eau, et sont surpris de croiser des Vénitiens chics chaussés de bottes de caoutchouc.

Autrement ils se font photographier devant le Pont des Soupirs, où leur guide leur apprend qu’il n’a rien à voir avec les soupirs d’amour, mais rappelle plutôt les soupirs de désespoir poussés par les accusés qui passaient du tribunal à la prison. Ils papillonnent ensuite sur la place Saint-Marc, nourrissent les pigeons et, s’ils en ont les moyens, s’attablent au café Florian, un des plus anciens d’Europe, devant un des cappuccinos les plus chers de la planète. Ils se font ensuite sérénader lors d’une brève promenade en gondole, font encore trois petits tours et puis s’en vont.

Au delà de la place…

Je suis toujours émue par la beauté de la place Saint-Marc. J’aime la splendeur de cette église de style byzantin, décorée d’une soixantaine de marbres différents, de kilos de feuilles d’or, d’une abondance de pâte de verre et de 2 000 m2 de mosaïques, où l’eau omniprésente a fait onduler les dalles de marbre du plancher.

Comme les Vénitiens, j’évite, par superstition,  de passer entre les deux colonnes de la piazetta adjacente à la place Saint-Marc où on exécutait jadis les criminels. Il m’arrive, appuyée sur une des colonnes de la place, d’écouter la musique des deux orchestres qui rivalisent d’entrain pour attirer les clients vers l’un ou l’autre de ces cafés hors de prix.

La place Saint-Marc est bien sûr le clou du voyage à Venise, et je m’en émerveille à chaque séjour, mais j’aime savoir que tout autour, dans un cadre aussi exceptionnel, les Vénitiens mènent une vie normale, travaillent, font leurs courses, rencontrent des amis, accompagnent leurs enfants à l’école et vont visiter un parent à l’hôpital.

 C’est cette Venise quotidienne qui m’attire. La Venise des 60 000 Vénitiens qui y vivent et qui perpétuent des traditions anciennes comme celle de la procession à la Chiesa delle Salute chaque 21 novembre pour remercier la Vierge d’avoir arrêté l’épidémie de peste il y a des siècles. La Venise de ceux qui s’aventurent à l’extérieur du périmètre le plus visité, qui partent à la découverte des trésors de la ville, dans les églises et sur les façades où flamboie le gothique fleuri.

Le clapotis de l’eau et le bruit des pas

La place Saint-Marc est la seule place vénitienne qui mérite le nom de « piazza » . Les nombreuses autres places sont appelées « campo », (champ), un nom qui rappelle qu’ils étaient autrefois recouverts d’herbe et d’arbres.  Il y a des centaines de « campi », tous charmants. Souvent dominés par une église, ils abritent des terrasses et parfois une ancienne fontaine. Le « campo » est aujourd’hui résolument urbain. L’herbe a disparu, mais quelques arbres ont survécu.

Je me promène de l’un à l’autre, campo San Stefano, campo San Angelo, campo Manin, campo San Luca, campo San Bartolomeo, avec le même bonheur dans un silence inhabituel uniquement troublé par le bruit des pas martelant le sol et le clapotis de l’eau.

La rumeur des voitures, le vacarme des klaxons et le bourdonnement des scooters sont absents de cette Italie-ci. J’aime le calme surprenant qui règne dans le dédale de rues et ruelles, à quelques centaines de mètres de l’animation de la place Saint-Marc. Je ne fréquente pas les boutiques chics des grandes marques internationales qui ont pignon sur rue derrière la place. Je préfère l’ambiance des « mercerie », les rues marchandes de la ville.

J’admire au passage quelques curiosités, le somptueux escalier Renaissance de la Ca Contarini dal Bovolo et la Fenice, ce théâtre mythique détruit plusieurs fois qui, comme le phénix, renaît toujours de ses cendres.

Au terme de mon périple vénitien, en marchant au hasard, j’aurai bien traversé le quart des ponts de Venise qui en compte plus de 400, et arpenté en long et en large ses six quartiers. J’aurai acheté des fruits au marché de Cannaregio, bu un café au comptoir d’une pâtisserie en grignotant un « bussolai »,  une douceur typique de Burano, et mangé des pâtes à l’encre de seiche et du foie de veau à la vénitienne dans le Dorsoduro. J’aurai reposé mes jambes endolories à bord du vaporetto numéro un qui parcourt le Grand Canal en zigzaguant de la place Saint-Marc jusqu’à la piazzale Roma. J’aurai toujours  envie de revenir sur mes pas pour revoir toutes ces merveilles sous un autre angle.

La nuit tombée, j’apprécierai au passage les traces lumineuses que laissent les monuments sur l’eau. La Ca d’oro, le pont du Rialto, qui a été longtemps le seul pont sur le Grand Canal, le Palazzo Papadopoli, le Palazzo Grassi, devenu un superbe musée d’art contemporain, la Ca Rezzonico, et l’édifice de la Douane de la mer récemment restauré.

J’aurai beaucoup souri de bonheur et souvent eu les larmes aux yeux. Comme d’habitude, Venise m’aura prise aux tripes.

 

À lire en voguant, en roulant ou en volant vers Venise, ou attablés à une terrasse tranquille de la Sérénissime. L’amant sans domicile fixe, un fascinant roman du tandem Carlo Fruttero et Franco Lucentini.

. Sérénissime, par Erica Jong.

. Dans le registre policier, les romans noirs mis en scène à Venise par l’américaine Donna Leon : Mort à la Fenice, Noblesse oblige, Mort en terre étrangère, Un Vénitien anonyme, etc.

 


Fin de l’encadré

 

Louise Gaboury