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Article publié dans le webzine de Août 2010

Naissance de la Côte d'Azur


Eté 1923. Les Américains Gerald et Sara Murphy reçoivent dans une région alors désertée en période estivale. Entourés de Picasso, Dos Passos, Hemingway, ils inventent la mode des vacances sur la Côte d'Azur.

C'est le 3 juillet 1923, un début d'été plein de promesses que débarque sur la Côte d'Azur un couple de riches Américains avec enfants et nourrice. Ils ont un projet, jugé à l'époque un peu fou : passer l'été au bord de la Méditerranée. Pour profiter du soleil éblouissant et de cette vaste étendue d'eau bleue salée, dans laquelle, à l'époque, personne ne se baigne. Avec une certaine audace et beaucoup de conviction, ils ont persuadé le patron de l'Hôtel du Cap, à Antibes, de rester, pour la première fois, ouvert pendant les mois d'été.

À cette époque, personne ne passait l'été sur la Côte. Dès la fin du printemps, toute la bonne société de la Riviera émigrait en masse vers les plages de la Manche qui représentent, alors, le must absolu de la saison estivale. Installés dans le grand hôtel désert, les Murphy ne savent pas encore qu'ils lancent une mode, promise à un long avenir. En tenant table ouverte pour leurs amis, invités à les rejoindre, ils viennent pourtant d'inventer les vacances d'été sur la Côte d'Azur. Les amis, il est vrai, sont souvent célèbres, ou le deviendront. Dos Passos, Hemingway, Dorothy Parker et Scott et Zelda Fitzgerald sont du nombre. Parmi les amis des Murphy, il n'y a pas que des Américains : Pablo Picasso s'invite en famille, dès l'été 1923, à l'Hôtel du Cap. À Paris, ils fréquentent Jean Cocteau, Stravinsky et Fernand Léger.

Aujourd'hui pourtant qui se souvient des Murphy ? Gerald comme Sara étaient des héritiers fortunés de la côte Est des Etats-Unis. Ils se rencontrent adolescents, se marient malgré les réticences de leurs familles et quittent l'Amérique en 1921 pour échapper autant aux pressions familiales qu'à une atmosphère bigote et conservatrice. Ils retournent sur la Côte d'azur pendant l'été 1924, et en septembre, ils achètent au cap d'Antibes une sorte de chalet, entouré d'un grand jardin luxuriant, qu'ils vont rénover et baptiser Villa America. Ce sera la Villa Diana du roman de Fitzgerald.

À l'époque où Gerald et Sara découvrent l'été méditerranéen, Antibes est un gros village aux rues étroites, où le téléphone ne marche que quelques heures par jour, avec un vieux cinéma. Les nouveaux arrivants sont considérés avec circonspection par les locaux. Sur la petite plage de la Garoupe, le couple et sa joyeuse bande organisent des pique-niques et des compétitions de costume de bain, où chacun apparaît en tenue extravagante.

Très vite, le couple se crée un véritable «life style» : le terme peut sembler anachronique, il reflète pourtant cette capacité à enchanter la vie quotidienne, à l'adapter au rythme estival qui fera leur renommée. Ils rénovent leur maison en anticipant sur les désirs naissant de l'époque : le toit pointu du chalet est décapité pour laisser la place à l'une des premières terrasses construites sur la Côte, les fenêtres sont élargies en baies vitrées. Encore aujourd'hui, ce pourrait être la définition des vacances idéales. En 1925, les Murphy s'installent de manière quasi permanente à la Villa America, ne gardant à Paris qu'un pied-à-terre. L'été, les amis continuent à défiler.

En 1926, Ernest Hemingway vient avec femme et bébé. Man Ray est aussi de la partie cette année-là. L'été 1929 sera encore un été merveilleux.. Le tonnerre frappera sans prévenir à l'automne. Dans la vie des Murphy comme pour le destin du monde. Le plus jeune des enfants, Patrick, tombe malade. On pense à une bronchite, c'est une tuberculose déjà très avancée. Le 18 octobre 1929, Patrick fête ses 9 ans. Ce même jour, Gerald et Sara quittent la Villa America avec leur fils cadet pour un sanatorium en Suisse. Dix jours plus tard, la Bourse de Wall Street s'effondre. Une époque s'achève. Sara et Gerald reviendront encore deux étés à Antibes.

La Côte a bien changé. Le Grand Hôtel du Cap, désormais toujours complet, est devenu un palace de luxe. La plage de la Garoupe a perdu son charme sauvage. L'été sur la Côte est désormais à la mode. Mais l'insouciance de la belle vie a disparu. Le petit Patrick fait une rechute et, en 1934, les Murphy quittent définitivement la France pour l'Amérique.

La crise a affecté leurs finances. Gerald doit reprendre l'entreprise familiale menacée de dépôt de bilan. Il s'attelle à la tâche, alors que le garçon continue de lutter dans une clinique américaine. C'est pourtant l'autre fils, Baoth, qui meurt le premier, alors qu'il va sur ses 16 ans : une méningite foudroyante l'emporte en mars 1935, alors que Sara lui tient la main, l'implorant de continuer à respirer. Patrick décède un an et demi plus tard, en janvier 1937, lui aussi à l'âge de 16 ans.

Scott Fitzgerald a 44 ans quand il meurt d'une attaque cardiaque, en décembre 1940. Huit ans plus tard, Zelda disparaît à 48 ans dans l'incendie de sa clinique. Ernest Hemingway se suicide à 62 ans, en juillet 1961. Gerald meurt en 1964, à 76 ans, et Sara s'éteint en 1975, à 92 ans, deux ans après Picasso. La fille des Murphy, Honoria, ne retournera jamais dans le paradis perdu de son enfance.

La Villa America a été vendue en 1950 pour 27 000 dollars. Redoutant des souvenirs devenus trop cruels, Gerald a réglé la vente à distance. Il reviendra pourtant une seule fois pour un dernier déménagement. Achetée d'abord par un industriel suisse, la Villa America est ensuite acquise par Tissot, le fabricant de montres qui la détruira pour construire une nouvelle maison. Puis ce sont des Russes qui l'ont rachetée. La Méditerranée séduit toujours, et chaque nouvelle génération de vacanciers efface les traces de la précédente.

Source : Liberation.fr

Louise Gaboury