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Matera, un joyau à l’écart des sentiers battus


Des centaines d'oiseaux volent silencieusement en cercles rapides au-dessus de la ville, comme pour s'étourdir. « Ils viennent d'Afrique, ce sont des touristes », explique en souriant le garçon du restaurant Il Terrazzino qui domine les sassi, les habitations troglodytiques de l'inoubliable Matera.

En cette fin de juin, les oiseaux migrateurs africains étaient certes beaucoup plus nombreux que les touristes. On en attendait pourtant des hordes, curieux de voir les lieux de tournage du film de Mel Gibson, La passion du Christ, dans ce coin perdu de la Basilicate. Ils ne sont pas au rendez-vous ou pas encore. Bonne nouvelle pour ceux qui ont envie de découvrir doucement la ville et ses habitants, chaleureux et toujours prêts à venir en aide au voyageur momentanément désorienté et dérouté par la beauté de la ville.

Difficile de décrire Matera qui a la majesté d'une cathédrale et l'humilité des cabanes de bergers. Elle ne ressemble à rien d'autre. Creusée dans le tuf des collines arides de l'ancienne Lucanie, Matera semble à mille lieues de la civilisation. Nous sommes loin des photogéniques collines toscanes et des rutilantes ruelles de Capri, à des années-lumière de l'exubérance de Rome, dans une autre Italie, au coeur d'un pays rude où les gens ont vécu dans la misère, oubliés du monde, même du Christ dont on dit qu'il s'est arrêté à Eboli, à quelques centaines de kilomètres de Matera.

Un patrimoine préservé

Ce sont des moines voulant échapper aux Sarrasins, qui, dans les derniers siècles du premier millénaire, auraient commencé à creuser la pierre tendre de Matera pour se mettre à l'abri. Le concept a séduit des paysans des environs. Au fil des siècles, ils ont ajouté des façades aux grottes, des églises sont sorties de terre et les sassi ont fini par former une ville.

Le paysage unique des sassi, révélé au monde par le livre de Carlo Levi Le Christ s'est arrêté à Eboli a été inscrit sur la Liste du Patrimoine mondial de l'Humanité en 1993. Leur nettoyage et leur restauration ont été entrepris en 1952 à la suite du tollé soulevé par le livre de Carlo Levi, indigné des conditions de vie dans les sassi. Exilé dans un village de la région par Mussollini dans les années trente, Levi donnait des sassi une vision apocalyptique, les comparant à l'enfer de Dante. Depuis, près de 20 000 habitants des sassi ont été relocalisés. Le processus de rénovation est toujours en cours et on privilégie la construction de logements plutôt que de locaux commerciaux. Espérons qu'une fois son charme révélé au monde, la ville ne deviendra pas un repaire de vendeurs du temple...

Matera se visite à pied en empruntant au hasard ruelles, venelles et escaliers qui mènent à de petites places, à des églises ou à d'autres ruelles, à la fois semblables et différentes. On peut visiter le Duomo, quelques églises rupestres et la maison grotte, un sasso qui a retrouvé son aspect original. Un guide explique comment les paysans y vivaient il y a encore à peine une soixantaine d'années.

Une étonnante tradition plusieurs fois centenaire

À Matera, il ne faut pas manquer la Festa della Bruna qui a lieu chaque année le 2 juillet. Le pape Urbain VI, ancien évêque de Matera a institué la fête de la Visitation en 1389, mais la dévotion à la Madona della Bruna est plus ancienne. On dit qu'un jour, de retour des champs, un paysan croisa une pauvre femme en haillons qui lui demanda de l'amener sur sa charrette pour lui éviter la longue route jusqu'à Matera. L'homme accepta. Il apprit ensuite qu'il avait aidé la Madona della Bruna.

Le 2 juillet, la fête commence à l'aube avec la procession des bergers. Suit la chevauchée en costume, puis le cortège de la Madone, représentée par une statue en papier mâché réalisée par des artisans locaux. La fête culmine avec la destruction de la statue, chacun jouant des coudes pour s'en approprier un morceau, ces reliques devant porter bonheur toute l'année. Un feu d'artifice clôture l'événement. À défaut de pouvoir assister à la fête, il est possible de la voir sur video au restaurant La cantina della Bruna...

Repères

Matera est située au sud de l'Italie, pratiquement dans la cambrure du pied de la botte, à environ 500 km de Rome ou 275 km de Naples.
De la terrasse du Sassi Hotel aménagé au coeur des sassi et accessible par un long escalier, on jouit d'une vue splendide sur le paysage surprenant de cette fourmilière en partie désertée. On ne se lasse pas de ce spectacle dramatique sous le soleil brutal de l'après-midi, surréaliste au clair de lune, avec pour musique de fond le tintement des cloches des nombreuses églises le jour et les aboiements des chiens et le feulement des chats, la nuit. www.hotelsassi.it/
On peut visiter le village de Aliano où Carlo Levi a été confiné pour raisons politiques et d'où il a découvert Matera. La maison où il a habité est toujours debout.

Louise Gaboury