Il y a les chats de ruelles et leurs proches parents, les chats de gouttières, puis la classe moyenne des chats de salon et tout en haut de l'échelle sociale, il y a les chats de palaces. Carmen, appartient à cette dernière catégorie. Cette belle chatte rousse vit en effet au Negresco, un palace construit en 1913 par le roumain Henri Negresco sur la Promenade des Anglais à Nice et classé monument historique en 1974.
Carmen est installée au Negresco depuis prè de dix ans. Elle a succédé à Poussy, la précédente mascotte de l'hôtel qui y a passé toute sa vie, côtoyant les stars, les têtes couronnées et les personnalités les plus marquantes du XXe siècle. Carmen a été offerte au Negresco par une famille de Cagnes-sur-mer qui, ayant appris la mort de Poussy, a voulu offrir un foyer princier à son chaton et poursuivre ainsi la tradition. Amenée à l'hôtel par le barman, Carmen s'est rapidement habituée à la vie de palace.
Une routine royale
On est chatte de palace ou on ne l'est pas. Tout au long de la journée, Carmen va du bar au restaurant et sort parfois par la grande porte, devant le portier en livrée, pour aller respirer l'air marin à l'ombre de l'imposante façade blanche et rose de l'hôtel ou flâner sur la terrasse de La Rotonde, puis s'arrête dans l'escalier privé le temps de faire sa toilette.
Carmen foule ensuite nonchalamment le plancher de marbre de Carrare, pour aller faire la sieste dans le Salon Royal sous la verrière peinte dessinée par Gustav Eiffel. Son endroit de prédilection, un superbe fauteuil de velours turquoise qui met son pelage en valeur, est posé sur un des sept tapis originaux de Raymond Moretti, éclairés par un lustre de cristal de Baccarat de plus de quatre mètres de hauteur, identique à celui qu'on peut admirer au Kremlin. Il fait face à l'éblouissante Nana Jaune de Nicki de Saint-Phalle qui danse au milieu d'une impressionnante collection d'objets d'art.
Carmen franchit parfois les portes en noyer provenant de la demeure de Jeanne d'Albret, reine de Navarre et mère d'Henri IV, pour s'aventurer dans le Salon Louis XIV dominé par un portrait du Roi-Soleil peint par Hyacinthe Rigaud. Elle paresse devant la cheminée monumentale provenant du Château Hautefort sous le plafond à caissons rescapé du Château de Saint-Pierre.
Indifférente à cette débauche de luxe, il arrive à Carmen de se hasarder sur les étages décorés chacun d'après une époque de l'histoire de France. Elle s'est même déjà retrouvée dans une chambre où elle a passé la nuit à l'invitation des hôtes de passage dont elle a daigné accepter les caresses. Quand il y a trop d'agitation dans l'hôtel, elle se réfugie tout en haut d'une armoire située entre le hall et le Salon Royal.
Carmen dédaigne les restes et les invendus du restaurant étoilé du Negresco. Elle préfère la nourriture pour chats que le barman lui sert matin et soir derrière le bar, mais va parfois mendier une gâterie au standard où elle sait qu'on garde une petite réserve de croquettes à son intention.
On le voit, le Negresco adore les animaux. Jeanne Augier, l'énergique octogénaire propriétaire du Negresco hérité de son père, possède deux chiens et un autre chat de palace judicieusement nommé Pacha. Malgré son emploi du temps chargé, elle consacre chaque jour quelques minutes à Carmen. Et, sur le bureau du concierge de l'hôtel, trône un tronc dans lequel les clients peuvent se délester de leur menue monnaie au profit d'un organisme qui s'occupe de la protection des animaux moins favorisés que Carmen.